Rendez-vous chez l’avocat

Publié le par DC Confidential

    Guidé par un sens aigu de mes atouts professionnels, j’avais insisté pour être reçu par le directeur de l’Alliance Française locale, histoire de lui dire “Bon voilà j’existe, maintenant cessez de faire l’innocent, embauchez-moi !”. Ça avait d’ailleurs plutôt bien marché après un accueil un peu distant, à m’expliquer qu’obtenir un visa de travail ne se faisait pas comme ça (Moi, très surpris, Ah bon ??). Il avait ensuite répété que mon profil était intéressant, ce que je lui accordai volontiers, d’autant que j’avais poussé à la roue pour le lui faire remarquer. Pour finir, passé le bureau de la directrice des études, on me conseilla de prendre rendez-vous avec leur très compétent avocat.
    Leur avocat est francophone, Libanais et, afin de respecter son anonymat, appelons-le Al Fayed. Je lui téléphone sitôt quitté le siège de l’Alliance pour envisager la mutation de mon “breathing visa” (permis de rester sur place) en “working visa” et donc de me transformer en menace objective pour le marché américain du travail. Maître Al Fayed est vraiment avenant au téléphone, m’appelle tout de suite par mon prénom et me propose de le rencontrer la semaine suivante. Un peu intimidé — dois-je l’appeler maître ? — je lui demande, à tout hasard, si cette entrevue me coûterait quelque chose. Le ton de sa voix ne changea pas, au contraire il semblait amusé. “Mais bien sûr ! On est en Amérique, ici tout est payant. C’est 250$ pour une heure.
Je lui rappelai alors que je cherchais du travail, et qu’il me paraissait délicat de dépenser trop d’argent dans cette phase de mon séjour. Compréhensif, mon Dodi me proposa direct une remise de 50% sur l’ensemble, soit une demi-heure pour 125$. J’obtempérai.

    Le jour dit, en avance de deux heures, comme pour un examen, je me préparai à mon premier rendez-vous chez un avocat. La sensation d’entrer de plain-pied dans l’expérience américaine. Comment j’m’habille ? J’optai pour une chemise et un imper : il y a toujours un imper dans un contexte de droit et en plus le ciel était exceptionnellement mitigé, avec un petit vent. Je me mets en route pour Alexandria — vous savez que l’on peut s’y rendre à vélo en longeant le Potomac — en métro, c’est faisable aussi, toujours deux heures en avance.

    Après un sandwich et un tour dans la rue des antiquaires, je l’attends quelques minutes dans le hall d'accueil d’un centre de business qui loue à l’heure des bureaux et salles de réunion — un détail cocasse : sur les portes des différents bureaux s’alignent des titres toujours ronflants d’Executive Director et assimilés. Al Fayed fait plus jeune que ne le laissait entendre sa voix mais je crois que sa coloration y est pour quelque chose. Il commence par me dresser le tableau par très rose de ma situation et des pistes éventuelles qui s’ouvrent à moi. Il fait de nombreux schémas avec des flèches et épuise petit à petit sa pile de feuilles A4.
    Au bout des trente minutes, je lui rappelle que l’on s’était mis d’accord sur un rendez-vous à -50%. Il me rassure en me disant que je ne paierai qu’une demi-heure et que d'ailleurs je lui avais expliqué des éléments qu’ils ne connaissaient pas concernant le PACS, à commencer par le fait que ça ne s’écrivait pas PAX. Le tour d’horizon se poursuit pour, en résumé, conclure que l’obtention d’une autorisation de travail était un puzzle auquel il fallait toutes les pièces et que c’était un “one shot : make it or break it” ! Au terme de l’entretien qui dura une bonne heure, il me demanda si j’avais encore des questions, me recommanda prudence, persévérance et de prendre un avocat pour mes démarches. Puis il me demanda de l’évaluer sur 20 pour sa prestation en français. Je lui donnai un 15 (bien mérité ne serait-ce que pour la réduc) et il me dit que j’étais gentil pour un prof de français. Je le remerciai bien pour son temps et ses conseils, sans lui répondre qu’il s’était  montré gentil pour un avocat.

La prochaine fois, je ne vous parlerai pas de mon rendez-vous au lycée français, c'était moins intéressant.

Publié dans droit

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D
Celui-ci était en civil, en ce qui concerne l'image du puzzle, elle renvoie aux triples exigences à remplir à chaque étape de la constitution du dossier : avec le Dpt Of Labor : l'adéquation entre les qualifications du candidat et sa formation ainsi que la conformité du salaire proposé, avec le Dpt of Homeland Security, les frais d'accélération des démarches, les éventuelles demandes de doc supplémentaire.<br /> J'espère que l'on comprend maintenant que l'aspect confus n'est pas de mon fait.
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E
J'ai un peu rien compris sur la dynamique du puzzle, mais je ne suis pas avocat, alors c'est peut-être ça? Bon, j'ai l'air de me moquer de Dodi, mais comme je dis rarement, l'avocat est un homme comme les autres (bien qu'il porte une robe...)
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